41° de fièvre, mais toutes vos dents !
publié le , mis à jourVoilà madame, vous pouvez rentrer chez vous, tout va bien. Le thermomètre indique 41° de fièvre, ce qui pourrait sembler inquiétant en soi, mais votre électrocardiogramme est normal, votre tension aussi et vous n'avez perdu aucune dent !
Ce diagnostic ne sera évidemment jamais prononcé par un médecin. Un seul indicateur critique délencherait une investigation d'urgence. Un autre indicateur ne fera pas oublier cette gravité, qu'il soit secondaire (le nombre de dents), ou même vital (l'électrocardiogramme, qui mesure la régularité des battements du coeur).
Si mon état de fièvre est évalué à 2/10 (0 étant la mort, 10 la forme de Zizou le 12 juillet 1998), ma dentition à 10/10 et mon électrocardiogramme à 9/10, la moyenne de 7/10 qui m'aurait valu une mention au bac ne reflète absolument pas mon état de santé très critique. En d'autres termes, il est dangereux de moyenner les indicateurs vitaux d'un être vivant.
Et s'il en est ainsi de la mesure de mes signes de santé, il en est de même des facteurs qui aggravent les mesures : un vilain virus pour la fièvre, trop de dragibus pour mes caries et de Segway pour mon coeur.
Aujourd'hui, si l'on considère notre planète bleue comme une patiente, elle est très malade. Fort de ce constat, nous développons de plus en plus d'indicateurs pour estimer son état de santé, les plus connus étant la température mondiale et la mesure de la biodiversité. Une prise de recul nous permet de dire que notre planète elle-même ne peut être considérée comme malade, elle a enduré des âges glaciaires et des extinctions d'espèces sans râler : c'est la capacité d'accueil du vivant sur cette planète qui est en danger. Donc nos amis les chiens, les abeilles, les chataîgniers, sans oublier nous les humains et surtout notre civilisation.
Le indicateurs mesurant cette capacité d'accueil sont infinis ! Température de l'air, mais aussi température des océans (le choix de la température à mesurer donne lieu à d'intenses débats de recherche).
Vu la situation, nos décomptes vont souvent dans le mauvais sens : espèces menacées, déforestation et réduction de la diversité des essences forestières. Blanchissement des coraux, acidification des océans, hausse du niveau de la mer, démembrement des champs (les talus et les bois sont rasés pour faire passer de plus gros tracteurs), artificialisation des sols (construction d'un supermarché en périphérie), eutrophisation des cours d'eau (les algues provenant du lisier breton consomment tout l'oxygène, les poissons meurent).
Déplétion des combustibles fossiles (pour le pétrole, on a bu l'essentiel du mojito, il reste l'eau vaguement sucrée des glaçons), mais aussi des métaux (lithium pour nos batteries, terres rares pour nos écrans).
Pour que ces indicateurs cessent de partir en vrille, il faut que les gouvernements agissent. Leur action est largement insuffisante : pour le climat, en supposant que les engagements soient tenus, nous nous dirigeons vers un catastrophique +3 ou +4 degrés de réchauffement. En attendant qu'ils se réveillent, et pour les réveiller, la société civile et chaque individu doivent mesurer l'impact des actions du quotidien.
Nous voici donc tous médecins, à décider quoi mettre sur l'ordonnance : en considérant ces indicateurs, puis-je acheter le nouvel iPhone ? Est-ce mieux d'acheter le dernier Samsung ? Peut-être dois-je me rabattre sur un écran 5 pouces au lieu de 6 (de toute façon mon pouce fait moins de 5 pouces) ? Ou faut-il que je m'abstienne, et que je fasse réparer l'écran ou réinitialiser les données ?
Comment ce choix est-il fait aujourd'hui ? En première approximation, aujourd'hui, on achète le téléphone le plus cher qui rentre dans notre budget. Nous sommes à l'aube d'un bouleversement de ce rapport non durable à la consommation, et nous avons au moins deux solutions.
Première solution : nous modifions ce prix pour y intégrer les contraintes environnementales, en fonction de l'impact qu'a cette consommation sur les indicateurs cités plus haut. Il faudra alors… moyenner ces nombreux indicateurs pour tous les ramener à un nombre, le prix en €. Nous devrons être particulièrement vigilants pour éviter de tuer le patient en considérant que cette délicieuse entrecôte de boeuf est tout à fait durable : si si, j'ai lu que certes le boeuf est catastrophique pour le climat (1/10) mais l'animal a vécu une vie heureuse (9/10), a été élevé sans OGM (10/10) et sans antibiotiques (10/10) et issu d'une filière plutôt équitable (8/10). Note globale 7,6/10
, miam 😋 !
Bien sûr, ceci est une caricature, les notes sur les emballages ou la majoration du prix d'achat seront des moyennes pondérées : on choisit de donner plus d'importance à certains indicateurs. Une autre façon de faire plus radicale serait de considérer certains indicateurs comme des conditions nécessaires (mais pas suffisantes) : si la note climat est en-dessous de 5, la consommation est disqualifiée, peut importe les autres notes : 0 pointé !
Mais le problème reste entier : dans notre exemple, qui décidera de l'importance du climat par rapport au bien-être animal ? Le gouvernement ? Le parlement ? L'industrie agro-alimentaire ? Le paysan local qui me livre mon panier ? La première appli que j'ai trouvé sur l'App Store ? Le nouveau "planet score" affiché quand je tape "entrecôte de boeuf bien ou pas" sur Google ? Chaque citoyen ? Le strict minimum sera de rendre public cette méthode de calcul et de justifier les choix.
Et si c'est un prix, par exemple 50€ l'entrecôte à la brasserie du coin (car le climat est pondéré x30), il faudra de toute évidence taxer à la frontière le boeuf des Etats-Unis, que leur président, conformément au programme de son deuxième mandat, aura décidé non pas de taxer mais de subventionner.
La deuxième solution sera de planifier la décroissance des consommations non durables, en faisant des choix démocratiques (du moins espérons-le) reposant sur l'état de l'art des mesures scientifiques. Bien sûr, cette solution ne remplace aucunement la 1ère : vivre implique consommer un minimum de choses, et le choix entre deux alternatives (liseuse vs livre, vélo vs voiture partagée) implique souvent des arbitrages moraux, toutes les meilleures notes pour chaque indicateur n'étant pas systématiquement détenues par l'une des alternatives : le livre n'utilise certes que très peu de ressources minières, mais la liseuse a aussi ses qualités si elle est utilisée durablement.
A quoi pourrait ressembler cette planification, par opposition à la taxation progressive qui ne ferait que renchérir une consommation jugée mauvaise ? Exemple avec l'avion.
Article 1er du code de la consommation durable.
Étant donné l'impact majeur de l'aviation sur le climat, sa consommation immodérée de cette ressource rare qu'est le pétrole, et l'absence d'avantage significatif sur les autres critères de durabilité énoncés à l'article 8 du présent code et documentés à l'adresse https://impact.gouv.fr, toute liaison aérienne nationale est interdite si elle concurrence une liaison ferroviaire de moins de 4h ou de nuit.
Chaque citoyen est tenu de respecter le quota d'un vol long-courrier de tourisme tous les 10 ans, un vol moyen courrier tous les 5 ans; chaque citoyen dispose chaque année de deux pass voyage illimité d'une semaine sur les rails européens.
La mesure de ce qui est durable ou non, et le bouleversement de nos comportements via le prix ou la loi, vaste programme !
N'ayons pas peur des mots : ça va être pénible, très pénible. Mais que préférons-nous ? Préparer l'avenir en changeant pas à pas nos comportements dès maintenant, ou attendre les catastrophes puis se confiner et espérer trouver a posteriori des parades à ces forces naturelles qui se déchaînent sur nous ?
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