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Ville loi 2024

publié le , mis à jour

Article 1

Tout segment du réseau routier d'une ville "loi 2024" pouvant être emprunté par une voiture, doit pouvoir l'être également par les vélos et autres véhicules de mobilité douce de façon strictement sécurisée telle que définie à l'article 2, à l'exception des autoroutes et voies express.

Article 2

Une voie "douce" est considérée comme sécurisée si elle est interdite aux véhicules à moteur, avec une séparation en relief et dans un matériau solide, d'une largeur de 2,5 m minimum pour une voie unidirectionnelle, et de 4 m pour une bidirectionnelle.

Les bandes cyclables peintes et les voies séparées par des potelets en plastique ne sont dorénavant tolérées que pour une période transitoire de 6 mois maximum. À défaut d'aménagement à temps, la rue devient automatiquement exclusive aux mobilités douces.

L'assistance électrique y est autorisée jusqu'à 25 km/h en ville, et 30 km/h sur ligne droite en zone peu dense.

Article 3

Dans le cas où la largeur de la voie ne permettrait pas d'accommoder véhicules de mobilités douces et véhicules à moteur, ces derniers sont interdits, sauf aux riverains ayant rempli l'attestation pour emprunter exceptionnellement les voies douces. Les riverains doivent alors respecter la priorité absolue des mobilités douces.

Les services d'urgence, ou autres trajets exceptionnels sur attestation, peuvent emprunter ces voies.

Concernant les voies rurales en zone très peu dense, une dérogation permet de ne pas doubler chaque km de route avec une voie cyclable et piétonne, tant qu'un itinéraire alternatif proche permet de remplir cette fonction. Dans ce cas, il est de la responsabilité de la commune de s'assurer que la distance supplémentaire sera assumée par les véhicules à moteur.

Article 4

Le même principe de priorité s'applique aux véhicules de mobilité douce (vélos, trottinettes, etc.) par rapport aux piétons : si la largeur de la voie est insuffisante pour séparer le trafic, les cyclistes doivent descendre du vélo et les piétons ont priorité absolue.

En conséquence, dans les villes dites "loi 2024", un trottoir ou voie piétonne d'une largeur pénalisante de moins de 2m50 ne peut exister qu'exceptionnellement entre deux bâtiments très peu espacés.

Article 5

Lors du réaménagement des plans de circulation des villes dites "loi 2024", les autorités doivent proposer un plan de végétalisation qui relie tous les parcs, squares et places publiques de la ville. Cette trame verte est continue, sauf pour s'accommoder des nécessaires intersections routières et piétonnes.

Article 6

Dans chaque région française, trois communes seront tirées au sort pour devenir des villes dites "loi 2024" parmi les trois catégories suivantes : population supérieure à 100 000 habitants ; population entre 100 000 et 10 000 habitants ; population inférieure à 10 000 habitants.

Les villes lauréates seront dotées d'un budget d'État pour mener à bien la sécurisation des voies de façon pérenne. Ce budget est prélevé dans l'existant alloué à la construction et l'entretien des routes nationales.

Article 7

À la suite d'une période d'expérimentation de 2 ans, en janvier 2026, un référendum sera annoncé pour généraliser le dispositif à l'ensemble des communes françaises.

Sans attendre la fin de l'expérimentation, toute commune voulant rejoindre l'expérimentation peut le faire sur simple demande du maire.


Qui aurait pu imaginer il y a 4 ans en 2019, qu'une telle loi si favorable au vélo et hostile à l'automobile, puisse être promulguée par la Ve République française ? De doux rêveurs peut-être, n'ayant jamais été confrontés à la puissance de l'adhésion populaire et politique à la voiture, cet objet qui incarne si bien l'ère industrielle et fossile.

Pourtant dès 2019, la crise du covid avait révélé qu'il était possible d'équiper en quelques jours de vastes avenues métropolitaines en voies cyclables, et que cela suffisait pour que les cyclistes affluent et battent mois après mois les records de fréquentation inscrits sur les totems de mesure.

En 2022 le choc énergétique et donc l'inflation, déclenchés notamment par l'invasion de l'Ukraine par la Russie avait rendu plus évident l'immense coût du système automobile. Et donc la place irrationnelle de celle-ci dans l'espace et l'investissement publics.

L'Union Européenne et en particulier l'Allemagne avaient montré, non sans difficulté, qu'elles pouvaient remplacer le pétrole et le gaz Russe... mais cette flexibilité, obtenue grâce à une dose de sobriété et beaucoup de réorganisation des échanges mondiaux d'hydrocarbures, avait des limites.

Dans le système de mobilité occidental du moment, impossible de se passer de l'or noir du Moyen-Orient et de l'Afrique, qui devenait pourtant de plus en plus difficile à négocier au fur et à mesure du ralliement effectif de certains pays à la Russie, dont le projet de société dictatoriale, religieuse et conservatrice inspirait malgré notre étonnement occidental bien des millions d'hommes.


Face au 4ème choc pétrolier qui fut rendu officiel par les éditorialistes cet été 2023, une politique nationale de planification engagea des milliards d'euros dans la filière de la mobilité électrique. Mais les analystes de France Stratégie comme de Twitter n'étaient pas dupes : on n'ouvre pas des mines de lithium, de cuivre, et des méga-usines de production de batteries d'un claquement de doigt.

Il fallait gérer l'urgence. Prier pour que l'avènement du covoiturage quotidien arrive enfin, après avoir résisté à tout ? Rationner l'essence à la pompe, et raviver des souvenirs de la précédente guerre mondiale ? Ne rien faire et laisser les prix réguler la demande ? Cette dernière option était impensable 5 ans après les Gilets jaunes et quelques mois après la fronde sociale sur la réforme des retraites.

Dans ce climat tendu, l'usage ostentatoire des jets privés et des grosses voitures par les membre du gouvernement fut vivement critiqué. Après le col roulé de l'hiver 2022, il avait été décidé dans les cabinets du VIIè arrondissement de Paris que l'affichage d'efforts individuels plus conséquents pourrait avoir bonne presse, et cela passait logiquement par de beaux clichés de ministres à vélo dans le quotidien de leurs missions.

En visite à Douarnenez pour défendre le projet de loi constituant de nouvelles zones de tension immobilière (ou pour s'épargner la terrible canicule "Lucas" de septembre 2023, diront d'autres), c'est sur le photogénique boulevard Jean Richepin face à l'île Tristan que le président enfourcha sa bicyclette, en sortant du Bigorneau Amoureux, que le drame eut lieu.

Le lieu de l'accident fut rapidement identifié par des internautes anonymes

Les rumeurs d'un attentat terroriste, possiblement nationaliste breton, allèrent bon train. Mais les vidéos que les badauds diffusèrent rapidement sur les réseaux révélèrent l'évidence : le Président s'était fait emportierer par un touriste qui venait de se garer pour descendre à la plage des Dames. Emmené d'urgence à la clinique de Quimper, le Président n'était que sonné, mais le garde du corps qui tenait sa gauche, projeté sur la voie inverse où passait un automobiliste, était dans un état critique.

Le lendemain, la presse et les réseaux entamaient déjà le procès des deux automobilistes responsables de l'homicide involontaire. Si l'un était coupable d'infraction des limites de vitesse en roulant à 45km/h, et peut-être bien étourdi par l'événement politique ou la splendeur de la mer d'Iroise, il était pourtant impossible d'affirmer que le respect du code de la route aurait évité l'accident. Son pare-choc excessivement prominent avait probablement aggravé la collision, mais pouvait-on reprocher à ce retraité d'avoir acheté l'un des modèles de voiture les plus vendus de l'année ?

L'autre n'était qu'un banal automobiliste plus occupé par le sac de plage et les enfants que par l'angle mort de la portière qu'il était en train d'ouvrir. Aucunement un assassin.

L'attention se porta alors sur la mairie. Les nombreux articles relayant la très mauvaise note de la commune et les commentaires incendiaires des cyclistes dans le Baromètre des villes cyclables firent office de preuves à charge. Pourtant, à nouveau, la banalité de l'état déplorable des infrastructures vélo dans le reste des 40 000 communes françaises était pour la ville de la sardine la meilleure des défenses.

Après tout, elle ne faisait que suivre les principes généraux fixés par la loi et la politique gouvernementale, qui faisait de la considération de la sécurité des vélos sur le stock de voirie française non pas un impératif, juste un petit plus pour le tourisme et l'écologie.

À l'assemblée, un tribun de l'opposition mit les mots sur l'évidence : l'État par sa propre négligence avait mis en danger le président normal, et par conséquent l'ensemble des Français désirant se déplacer autrement que dans un véhicule si cher et blindé de plus d'une tonne de ferraille.

Alors que des manifestations à vélo chaque samedi bloquaient le centre des métropoles, pendant que des escouades de militants nocturnes plaçaient des lentilles dans les valves des SUV, il fallait réagir pour éviter un nouvel embrasement populaire. Les "villes loi 2024" étaient nées.


La droite bien évidemment condamna cette loi. Il était pourtant impossible pour elle de le faire avec trop de virulence, car le texte n'était qu'une implémentation objective de l'adage "il faut partager la route", au contraire des demandes d'une frange plus radicale de l'opinion, le mouvement "Renaissance", qui appelait purement et simplement à l'interdiction des véhicules lourds et rapides en ville.

Cette loi était également vue comme un compromis pour écarter le bridage numérique des voitures sur l'ensemble des routes françaises. Cette proposition de loi remettait en cause la liberté sacrée de circuler en voiture comme bon nous semble, avec seulement un contrôle très peu probable et a posteriori. Une solution contre laquelle s'était également opposée "la gauche" inquiète d'une surveillance généralisée.

L'esprit de la loi 2024 était simple : l'idée selon laquelle "il est impossible de se passer d'une voiture" pouvait bien être vraie, mais encore fallait-il se donner les moyens d'expérimenter sa contraposée sans risque de se faire écraser à tout moment, comme le Président ! Les automobilistes pourraient continuer à s'entre-tuer à hauteur de 3000 décès par an, et se blesser à hauteur de 70 000 par an, mais uniquement sur leur circuit désormais exclusif et restreint. Ceux qui voulaient s'en échapper en auraient désormais tout le loisir.


La ville d'Ambert, sélectionnée dans la catégorie moins de 10 000 pour la région AuRA, fût la plus contestataire. Opposant à cette politique publique sa particularité topologique auvergnate, quelques fabricants français de vélo prirent l'initiative il est vrai un peu moqueuse et résolument commerciale d'installer à Ambert un stand d'essai de vélos électriques amplement capables de monter à 1300m, et d'en offrir 1000 aux premiers habitants qui se débarrasseraient de leur seconde voiture.

La ville fut également le théâtre d'un événement historique : il s'agirait a-t-on dit du premier déploiement de police important de l'histoire française mené dans le but d'assurer qu'une voie cyclable, temporairement peinte, ne soit pas obstruée par des automobilistes rebelles.

D'autres villes en profitèrent pour aller plus loin que la loi, comme libérées d'une vieille emprise malsaine. Certaines rues métamorphosées sont aujourd'hui méconnaissables.

Plusieurs métriques objectives semblèrent rapidement attester du succès de la loi. D'abord, le nombre de communes qui rejoignirent de plein gré l'expérimentation. Sans surprise, l'ouest devint une grande terre de villes loi 2024. Les deux métropoles rivales Rennes et Nantes se lancèrent dans une compétition pour le déploiement des rues 2024, si bien que le taux d'équipement en voiture des ménages y chuta de 70% à 30%, libérant pour ces deux seules communes 600 millions d'euros de dépenses annuelles dans l'automobile. Le "pharaonique" coût des transports en commun parut tout d'un coup plutôt lilliputien.

Les journaux internationaux furent incapables de s'accorder sur le bien fondé de ce que le New Yorker appela la "French Velorution" dans une nouvelle illustration mythique louant le vélo. Les autres pays de l'Union Européenne furent obligés de réagir face à l'émergence de cet étonnant nouveau poids lourd du vélo. Il fallait choisir : le suivre, ou se poser en contrepoids conservateur pro-voiture ?

Si les opinions politiques restaient diverses et débattures, le succès de la loi villes 2024 semblait déjà solidement écrit dans l'engouement national et international pour ces nouvelles villes qui défiaient Amsterdam et Copenhague.


L'image d'en-tête est tirée d'un article Wheelz! qui nous ramène à la triste réalité de 2023.

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