
Renaissance des villes
publié le , mis à jourLe litre d'essence vient de passer les 3€. L'Etat, endetté comme un joueur de poker n'ayant pas compris qu'on ne peut bluffer toute la soirée, ne pouvait se permettre de baisser les taxes qui font l'essentiel du prix à la pompe.
Nous sommes à l'automne 2021. La technologie médicale nous a sauvés de ce virus contre lequel notre solidarité nationale s'est fracassée. Il est trop tôt pour savoir si cette nouvelle confiance en la science nous fera foncer plus sereinement encore dans le mur, ou si nous allons enfin plus modestement écouter ces sages oracles des temps modernes.
L'activité économique, ce fameux PIB, allait dépasser les niveaux pré-covid. Nous allions nous plonger dans la torpeur méritée qui allait suivre un été de fêtes générales... mais notre source d'énergie a flanché. Notre économie entière était basée sur les richesses de quelques sous-sols, qui ne suffisaient, le 1er novembre 2021, tout simplement plus.
S'en est suivie une réplique de la crise de 2008, globale, crue. Le tremblement de terre venait du sous-sol, mais la cité était remplie d'appartements déjà fissurés. La pomme économique était depuis le covid pourrie, mais repeinte et gonflée à la seringue des prêts bancaires comme un BigMac avant son photo-shoot. Heureusement au moins, le virus était derrière nous. Il semble que la misère soit moins pénible sans masque et auprès de ses amis.
C'est pourtant localement que la fracture s'est opérée, quand les métropoles françaises ont pris la mesure de ce choc pétrolier, et en particulier Paris.
L'hiver 2021, Paris faisait comme prévu dans le programme municipal une croix sur la moitié des places de parking en surface de ses rues. Les garages souterrains absorbèrent la plus grande partie des voitures. Le choc pétrolier cloua définitivement au sol l'essentiel de ce parc, les rues n'étant désormais fréquentées que par cette minorité qui en avait vraiment besoin... et ceux qui de facto prouvaient qu'ils étaient bel et bien plus aisés que les autres.
Ce qui s'est passé dans l'organe central de la France en cette douce fin d'hiver 2021 n'était pourtant pas prévu : les parisiens entendirent une ville nouvelle si paradoxalement agréable dans ce monde en banqueroute. L'absence des véhicules motorisés offrait le silence du confinement mais sans perdre la vie débordante precovid qui renflouait la culture et les commerces de proximité.
Une forte pression des Parisiens déclencha la radicalisation de la municipalité Hidalgo, qui peut-être avait toujours eu cette volonté refoulée par les rêves de puissance motorisée des intellectuels de salon haussmannien et de la préfecture de police : il y aurait début 2022 une consultation pour piétonniser l'espace public parisien intra-muros... mais le temps d'un trimestre seulement.
Un expérimentation donc, car certains arguments des anti étaient en effet bien recevables : ce choc pétrolier n'était peut-être qu'un soubresaut d'un déclin de l'or noir qui allait peut-être s'étaler sur le siècle ou être résolu par on-ne-sait quelle technologie de raclage des fonds bitumineux du globe : mieux valait ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Il était aussi question des chevaux et leurs crottes, symboles de ce retour en arrière brandi par l'opposition féroce qui innonda Coq, le réseau social bien français qui émergea suite aux censures de plus en plus fréquentes sur les réseaux étatsuniens de certains leaders politiques en cette pleine période de campagne présidentielle française.
Plébiscité par 67% des Parisiens insensibles aux cris d'orfraie des couronnes de la métropole et des twittos alertes craignant une épidémie de piétonisation gagnant la province, le plus grand projet urbain de Paris depuis Haussmann organisa sa phase d'expérimentation au printemps 2022. Il faut dire que la pénurie mondiale de lithium suite au choc pétrolier et l'offensive politique de Joe Biden dans une Amérique du Sud au bord du conflit armé avaient convaincu les défenseurs de la voiture "zéro émission" pour tous qu'ils s'étaient faits berner par le nouveau propriétaire de Renault occupé à conquérir une autre planète. Mais où allions-nous mettre ces centaines de milliers de tonnes de plastique et de métal ?
Car il s'agissait bien de vider toutes les voitures parisiennes à pétard : il avait été convenu dans l'expérimentation qu'en compensation de cette grande mise au rebut, les véhicules d'urgence et d'assistance médicale et sociale, les bus, les utilitaires professionnels aux lourdes besognes se verraient remplacés par des véhicules électriques sur prêt bancaire à 0% avec apport offert de la valeur de leur ancien bien thermique. Couplé avec une explosion des bornes de recharge sur 5% des anciennes places de parking de la ville, et d'une offre publique de voitures partagées en parking relais opérée cette fois-ci par la ville elle-même.
La gratuité totale des transports en commun pour les parisiens, étendue à l'offre de véhicules en libre-service (vélos, trottinettes et voitures, avec bien sûr un quota d'utilisation par personne), avait convaincu la majorité des propriétaires d'automobile de tenter cette expérimentation. Un argumentaire public très détaillé et ouvert à la contribution et contradiction avait en effet montré que les gains financiers à quelques années d'une ville piétonne compensaient largement les coûts de cette nouvelle politique de transport en commun, ce qui permis de lever un emprunt pour mener cette expérimentation.
Un barème complètement transparent leur permis de savoir s'ils allaient recevoir une autorisation de circulation. Certains pestaient contre cette planification qui allait "tuer leur biz", quand d'autres faisaient bruyamment sauter le bouchon en trépidant d'impatience à l'idée de leur nouvelle Rolls silencieuse et presque seule sur les routes, et d'autres encore découvraient avec un étonnement forcément craintif la sophistication des vélos cargos qui leur permettrait de se faufiler partout et d'emprunter les nouvelles lignes vélopolitaines pour un Rivoli-Argenteuil en une demi-heure et un Gare de Lyon - Melun en 20 minutes. Car le vélo à assistance électrique fut autorisé à dépasser les 25km/h sur les longues lignes droites et le TER francilien expérimenta des wagons de cargo-routage.
Une alliance détonante précipita l'expérimentation en résolvant la question épineuse qui restait. Des habitants de la couronne métropolitaine, des associations écolos aux rangs grossis par l'immonde reprise carbonée, mais aussi les agriculteurs craignant une invasion de carcasses motorisées dont ils redoutaient, emprunts d'une rare lucidité, le pourrissement sur leur terres fertiles, cette alliance conduisit à l'évidence : en complément des parkings relais du Grand Paris, les aéroports parisiens, condamnés par l'avihonte et la loi à transporter de moins en moins de voyageurs notamment au profit du rail, étaient l'espace idéal pour stocker toute cette ferraille.
Les organisateurs des Vieilles Charrues, habitués à gérer des flux énormes de personnes et voitures, furent sollicités et confirmèrent l'intérêt de ce programme : les aéroports étaient déjà bitumés, parmi les endroits les plus accessibles pour le transfert par la route et les tours de contrôle idéales pour éviter le pillage de ce parc d'une valeur massive. Ils organisèrent en deux semaines l'archivage du parc automobile de la capitale sur les aéroports, qui ne se fit évidemment pas sans nostalgie, manifestations et blocages imprévus... mais elle se fit, les satellites braqués et les timelines se déchirant sur le bien fondé de cette expérience inédite, cette révolution que seuls ces fous de Français semblaient capables de mener.
Le Paris sans voiture, du moins sans véhicules thermiques, vécut ses premiers jours avec un sentiment étrange de mélancolie, comme après une sortie de boîte de nuit quand notre tête et nos oreilles entendent toujours le spectre des lourds décibels et trouvent ce calme trop violent.
Les premiers rayons de soleil du printemps tombèrent sur les tables de voisinage en bois massif qui furent installées au bas de nos immeubles. Sur ces plantes qui colonisèrent les premières rues du nouveau monde (des rues secondaires résidentielles qui faisaient office de parking en longueur), au grand dam du karma instagram de l'anciennement unique rue Crémieux. Car les services et sous-traitants de la ville auparavant lourdement occupés à la circulation et la chaussée furent réemployés à ces espaces verts, à l'organisation de cette nouvelle vie grouillante (et parfois un peu trop ouvertement festive), et bien sûr au ravalement des sols et bâtiments qui donnèrent son surnom international à "Paradis city".
La plus belle ville du monde venait d'enlever son voile de suie.
Certains redoutaient que les Champs Elysées redeviennent... un champ !
La canicule de la 1ère semaine de juin 2022 fut violente, l'été s'annonçait torride, et les Parisiens ne semblaient pas prêts à s'infliger à nouveau fenêtres ouvertes le vacarme nocturne, à rendre ces rues qui étaient devenus des extensions de leurs salons. Il fut vite de notoriété publique qu'on se dirigeait vers une prolongation de l'expérimentation jusqu'à la fin de l'été 2022, et qui sait, peut-être plus ? Les ventes d'occasion des voitures garées à Orly commençaient à prendre une telle ampleur qu'il fut mis en place un système officiel de vente par les agents de contrôle du mégaparking qui ne faisaient pas grand chose avant la nuit tombée.
Mais bien au-delà du périph', la fracture devint évidente quand le Club des 4 acta officiellement le réseau français des villes piétonnes. Deux métropoles à l'ouest qui se constituèrent en métropole régionale unie par la "gévère" (Grande Vitesse Régionale), l'autre diamétralement opposée et si fier d'elle qu'elle ne pouvait se laisser devancer par la nouvelle Paris, et cette dernière qui ne pouvait plus ignorer qu'elle étouffait au creux de ses contreforts alpins. Il semblait finalement que la piétonisation totale n'était pas réservée à l'impressionnante densité urbaine de Paris.
Les nouveaux gilets jaunes, mouvement qui avait perdu les uns qui voyaient en cette grande piétonisation l'initiative radicale et planifiée qui pourrait libérer leur propre lieu de vie et leur budget d'une contrainte subie, avaient pourtant grossi leurs rangs des autres qui voyaient cette exclusion des voitures des métropoles comme une agression envers un mode de vie qu'ils n'envisageaient pas d'abandonner.
Car ces choix radicaux des super-urbains ne se limitaient en effet pas à l'adoption bienheureuse d'un style de vie qui leur convenait localement : la Loi Écologique d'Inflation Progressive des Biens Fossiles, que portait le nouveau gouvernement qu'on taxait alors d'un nombrilisme parisien, loi qui était destinée à empêcher le prix du pétrole de baisser en cas d'afflux nouveau d'or noir, avait fuité. Il s'agissait de faire progressivement de même partout comme l'exigeaient l'accord de Paris pour le climat et la nécessaire cohérence nationale.
Il était néanmoins peu efficace de protester contre une piétonisation des villes en bloquant les routes ! Alors l'opposition se fit sienne du talon d'Achille des zones vertes : l'autonomie alimentaire, qui dépendait bien de ces territoires majoritairement jaunes. Et les premiers blocages routiers des chaînes de livraison des 4 marchés Franciliens créés pour pallier la centralisation inquiétante de Rungis mirent le feu au poudres.
Ils eurent cependant une conséquence pour le moins inattendue. Le club des 4 comptait maintenant 20 membres, et la tache verte née au cœur de l'Île-de-France avait déjà conquis ce qu'on appelait le 21ème arrondissement (Saint-Mandé et Vincennes), mais aussi Montrouge et d'autres villes denses entre Paris et la Marne étaient en cours de négociation. Maisons-Alfort semblait grâce à sa position stratégique à la confluence des deux affluents de la Seine, faire figure de proue dans la résistance francilienne. Toujours est-il que le club, fort des 15 plus grandes villes françaises, avait acquis un pouvoir politique considérable.
Il mena campagne pour ce qui devint le grand plan de transformation Une France 2030.
Il fut proposé (1) de révolutionner l'agriculture française en y intégrant une partie des nombreux chercheurs d'emploi, évidemment nourris mais aussi logés dans des bourgs ruraux nouveaux et semi-piétons en ceinture des métropoles. Mais surtout, une grande partie de la production agricole, dite "de base" fut planifiée. La viande labellisée "pâturages non cultivables" fut intégrée dans le programme, et l'importation de nourriture (notamment des farines animales) hors label france.eco fut interdite, ce qui eu pour conséquence une diminution de l'agression des forêts tropicales mais aussi un ralliement d'une grande partie du monde agricole national.
Cette planification était destinée notamment à relever les prix en échange d'une qualité et surtout d'une revalorisation des salaires des agriculteurs qui allait irriguer nos campagnes déjà requinquées par l'afflux de télétravailleurs permanents. Les outils de cette agriculture nouvelle seraient électrifiés à marche forcée par du matériel technologique 100% français. L'opinion acquiesçant évidemment qu'il était plus important d'utiliser une batterie de 500kg du rare lithium dans un tracteur que dans les taxis Model Z autonomes qui rythmaient la principauté de Monaco, nouvelle patrie de Renault.
Mais cette production agricole et nouvelle vie de nos campagnes ne pouvait s'imaginer coupée des métropoles, ces deux mondes seraient reliés par un (2) maillage ferroviaire dit "intégral" à faire pâlir le pic historique des petites lignes de 1910, alliant la révolution du fret ferroviaire, le TGV, les GVR (unissant les nouvelles métropoles distantes de moins de 100km), les désormais incontournables trains de nuits, les vaillants TER et le petit nouveau mais insolent TAR (train autonome régional sur batterie).
Les critiques attentives d'Une France 2030 ne manquèrent pas de remarquer que le réseau ferré Intégral était un cheval de Troie moderne transportant l'objet qui avait colonisé les zones vertes : le vélo semblait en effet menacer les départementales tellement il structurait les plans des environs de ces futures gares et leurs bourgs, ainsi que le matériel roulant qui lui était en partie dédié, et qui fut vite surnommé le réseau "ferrobobo 2030".
La dernière proposition du club des 4, pourtant la plus symbolique et peu coûteuse, fut peut-être celle qui enveloppa délicatement l'horrible plaie en train d'être péniblement suturée. Il s'agissait pour certains de détruire ce qui a toujours fait Paris, mais pour beaucoup d'autres de mettre un terme à cette domination historique de la capitale sur ses "provinces". L'appareil d'État français fut éclaté aux quatre coins de la France, un Ministère par-ci, une Agence par là, une Assemblée nationale à Marseille, le Conseil scientifique (qui remplaçait le Sénat) à Lille. Les bâtiments somptueux étaient construits pour de bon mais leur fonction allait tourner régulièrement. Ceux de Paris furent intégrés à de nouveaux quartiers pleins de vie, diminuant ainsi radicalement la pression immobilière d'une capitale plus si capitale. L'État toujours uni allait gouverner désormais un peu plus près de la réalité de toutes et tous.
✏️ Signaler une erreurNote : cet article a été écrit avant la lecture d'Écotopia, mais le livre en a peut-être déclenché l'écriture. Le sujet de la voiture, qui définit la mobilité d'une ville et d'un pays, me semblent être un point de bascule intéressant et moins ambitieux que la transition intégrale et un peu trop magique racontée dans le livre. En tout cas, lisez-le !
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