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La crise, ou la ville idéale ?

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Inaccessible propriété

La France est en pleine bulle immobilière. Qu'est-ce qui permet de l'affirmer ? Le décrochage de plus en plus manifeste des revenus par rapport au prix de l'immobilier. En termes simples : de moins en moins de français peuvent s'acheter un appartement avec l'argent de leur travail.

Un cas pratique

Prenons un jeune ingénieur, qui gagnerait 39 000 € bruts par an, soit 28 000 € nets d'impôt. Sur ce salaire net, il paie les 800€ de loyer d'un studio parisien, dépense 1000€ par mois pour manger, sortir, voyager. Il économise donc 6 000€ par an.

Il pourra s'acheter tous les 10 ans 6 petits m² d'un appartement parisien. Au bout de 40 ans de travail, vers 65 ans, il aura pu s'acheter un 25m², au "confort thermique acceptable", avec "cuisine lumineuse". Comprendre : "passoire thermique impossible à isoler", "non traversant et peu lumineux sauf cuisine".

Heureusement, un emprunt immobilier à taux faible lui permettra d'éviter de payer un loyer et mettre 1/3 de ses revenus bruts dans l'achat pour rembourser son 25m² sur une période de 30 ans.

Ce cocon élégant et fonctionnel vaut bien ses 12 500€ le m² et 30 ans de travail, non ?

Or notre jeune ingénieur est parmi les mieux lotis aujourd'hui ! Le salaire brut médian en France est de 28 000€, dix mille de moins. On se rend compte à quel point les perspectives logement du jeune français dans les métropoles sont sombres : décidément en 2020, soit on a la famille derrière nous, soit on a la chance d'être en CDI pour s'endetter, soit on reste locataire à vie.

Pas seulement en Île-de-France

Certes, Paris est exceptionnellement chère et pas représentative du pays. Le reste du parc immobilier serait-il, lui, accessible ? Non, il explose dans toutes les grandes métropoles. Les logements anciens à Bordeaux ont pris 44% en 10 ans pour atteindre 4000€ le m². Brest, 25ème ville française, relativement peu chère, a pris 12% en un an !

Encore plus étonnant, c'est en fait toute la France en tendance longue qui a du compter de moins en moins sur son salaire pour devenir propriétaire.

Courbe de Friggit publiée mensuellement par le ministère du logement.

La mécanique se grippe

Il y a dix ans, on pouvait déjà faire ce constat. Alors pourquoi pas une autre décennie de hausse des prix ?

Personne ne contestera que l'emprunt aux taux bas est le carburant de cette hausse. Mais en ce début d'année 2020, l'Etat s'est adressé aux banques qu'il considère trop généreuses dans leurs crédits… Notons aussi la fin de l'impôt sur la fortune pour les placements financiers, rendant les rentes locatives comparativement moins intéressantes. La fin de la taxe d'habitation payée par le locataire, la hausse de la taxe foncière payée par le propriétaire ne manqueront pas de rentrer dans les calculs pour l'accession à la propriété.

L'encadrement des loyers à Paris et Lille fait que l'on n'y investit plus vraiment pour louer, mais plutôt pour vendre après 20% de hausse. Le bien n'est plus rentable, sauf dans les beaux quartiers sur AirBnb : il faut espérer trouver un acheteur misant lui-même sur une hausse sur la décénnie suivante.

Dans ces grandes villes, qui sortent du lot notamment grâce à leur offre d'emplois, il n'est plus rare d'entendre un nouvel arrivant tourner en rond pour se loger malgré son CDI. Jusqu'à quand les employeurs toléreront-ils une inflation des salaires, ou de façon plus réaliste, les salariés accepteront-ils de rogner sur leur budget, avant de simplement quitter ces métropoles ?

Finalement, l'arrêt net des transactions provoqué par la crise du coronavirus pourrait être un élément déclencheur.

Propriétaires, rassurez-vous ! Cette crise a une solution bien tracée. Locataires, réjouissez-vous : vous aurez soit des prix d'achat plus bas, soit une grande montée en gamme de la vie en métropole.

Rêves de verdure, de calme et d'espace

L'inédite crise du coronavirus, qui confine les habitants des métropoles dans des appartements souvent petits, révèle l'évidence : tout le monde souhaite avoir un bout de jardin, ou quelques m² d'extérieur apaisé. Notons d'ailleurs que seuls 15% des français sont confinés sans balcon ni jardin.

Nous sommes d'ordinaire prêts à y renoncer pour l'emploi et l'animation urbaine… jusqu'à peut-être réaliser que ce modeste espace, et la fatigue des grandes villes coûtent le prix d'une villa sur la côte ouest, 2 fois celui d'une maison charmante dans un village, ou 3 fois celui d'une maison pavillonnaire.

Et vous, vous êtes plutôt 1, 2 ou 3 ?

L'exode massif vers la province à l'annonce du confinement a dévoilé le peu d'attrait de l'environnement urbain, quand le télétravail est généralisé, et quand ses bars et théâtres ferment.

Des exemples tout tracés

Paris d'abord, New York ensuite puis Seoul nous montrent le succès immédiat d'une réalisation simple : une voie entièrement piétonne et plantée dans des villes monde. A défaut d'avoir des anciens rails ou autoroutes suspendus dans les autres villes, pourquoi ne pas reproduire ces lieux magiques directement au sol ? Pourquoi ne pas commencer par relier les parcs et squares existants entre-eux, pour former des corridors verts ?

Une rue piétonne de maisons colorées, aux trottoirs couverts de plantes : la rue Crémieux sort tellement de l'ordinaire hyperactif bouchonné de la Gare de Lyon à Paris qu'elle est devenue culte sur Instagram, jusqu'à faire craquer ses habitants.

Plutôt que de reproduire ailleurs cette ambiance qui plait et donc diluer les touristes, la mairie du 12ème réfléchit à fermer cette voie publique les soirs et weekends...

Une lettre du nom de cette autre rue à Paris révélée pour chaque autre rue piétonnisée

Incarnation actuelle de l'écologie

Quitter la ville est d'ailleurs devenu pour beaucoup le rêve de reconversion écologique. Et toi, c'est quand que tu quittes Paris ? Les tiny houses fascinent, tout comme les écovillages.

Pas si simple ! Au-delà de ces tendances du moment, comme on pouvait s'en douter, les français veulent la nature, le village, et l'activité des grandes villes à la fois.

La riposte des grandes villes

Face à cette menace de dégringolade des prix, les métropoles se laisseront-elles faire ?

La compétition pour redorer l'image de la grande ville s'est silencieusement lancée. Les concurrentes : Paris, Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Rennes, Nantes... Elles se battent entre-elles, mais aussi avec le reste de la France dont elles doivent copier les atouts.

Respirer un air pur. Dormir la fenêtre ouverte au calme. Marcher librement, sans que le rehaussement du trottoir et ses potelets nous rappellent que nous ne sommes pas les bienvenus en dehors des marges. Faire du vélo sans la vigilance d'un pilote de formule 1. Être entouré de vert. Voir les enfants jouer dans les rues. Observer la beauté d'une ville, remarquer des sols et façades non noircis.

Une ville sortira bientôt du lot. Elle en profitera largement et amortira la chute de ses prix, avant que les autres la rattrappent.

Comment faire pour que l'environnement urbain comble davantage ce besoin de campagne ? La solution commune la plus évidente, c'est la fin programmée du véhicule motorisé individuel dans les zones denses.

La bagnole n'est bien sûr pas l'unique frein à ces aspirations : par exemple, le chauffage en cheminée ouverte émet autant de particules fines. Mais lui n'empêche pas la pratique du vélo. La voiture impacte tous les aspects de nos vies urbaines.

Thème incontournable des municipales annulées de mars 2020, nous sommes en plein dans le virage vers l'ère de la ville où la voiture est l'exception.

L'ennemi des villes : la voiture individuelle

Rares sont aujourd'hui les initiatives radicales pour diminuer la place de la voiture individuelle. Donc on tente, en vain, de construire la ville alternative à sa marge.

Or nous oublions souvent qu'elle rentre tout simplement en conflit avec ces aspirations.

Un évident conflit d'espace 🗺

A Paris, pourtant parmi les villes les plus denses du monde, 50 % de l’espace pour 13 % des déplacements.

A 5 minutes à pieds de 7 lignes de métro RER ou tram, les voitures et les voies qui lui sont dédiées occupent 80% de la rue.

Une rue à 5 voies dans le 12ème arrondissement de Paris

Cette capitale, où il faut barricader les coins végétalisés pour éviter que des piétons, à l'étroit dans leur passage moins large qu'une Volkswagen, ne les piétinent.

Nous devons mettre en oeuvre l'équité géographique.

Sortons un peu de la capitale pour ramener cette occupation de l'espace publique aux surfaces de nos logements.

Ce modèle est simpliste, mais illustre à quel point nos rues pourraient devenir nos petites parcelles de jardin ou d'espace de cohabitation entre voisins.

Quand est-ce que nos rues seront assez agréables pour y installer des tables de pique nique ?

Un conflit d'argent 💰

Un conflit moins évident d'argent ensuite. La France ne roule pas sur l'or (noir) comme Dubaï : nous n'arriverons pas à bâtir un réseau de transport alternatif sans s'attaquer aux coûts multiples de la voiture, publics (les infrastructures routières, la santé) comme privés (l'achat de la voiture, son entretien, son assurance, etc.). Il faut rogner sur le budget voiture.

Certes, construire une piste cyclable, ou mieux, une voie apaisée où les voitures ne sont que tolérées, c'est peu d'investissement. Mais un métro, un tram, une voie de bus électrique fréquent, c'est cher. Non, nous ne pouvons pas d'abord mettre en place l'alternative pour faire une transition douce. Nous n'avons ni l'argent, ni le temps de réaliser ces travaux avant de toucher à la voiture.

Rennes, parmi les villes les plus dynamiques de France, a beau terminer sa deuxième ligne de métro à 1 milliard d'euros, ce n'est que la colonne vertébrale du réseau de transport de la ville, tout le reste est à construire.

Le changement doit être radical

Il ne s'agit plus de peindre au sol des voies cyclables, ni d'ailleurs de construire des pistes cyclables en marge des routes, il s'agit de faire de la rue que nous connaissons aujourd'hui une nouvelle page des manuels d'histoire.

Des petits gestes de transition urbaine, aussi radicaux que l'interdiction des pailles en plastique

La crise du coronavirus a mis en évidence le problème de nos trottoirs. A vrai dire en 2020, Paris est la seule ville de France à disposer d'une carte de la largeur des trottoirs !

Mais ne nous laissons pas avoir : le sujet n'est pas la largeur du trottoir, c'est son existence même qui souvent révèle un échec. Il est conçu pour protéger les piétons du danger au centre de nos routes. Pourquoi devrions-nous accepter ce danger en zone dense ? Le peu de rues ou portions de rue plates sont aujourd'hui synonymes de zone agréable prioritaire aux piétons.

Il ne s'agit pas non plus de répondre à un seul problème en en créant de nouveaux : la voiture individuelle électrique reste encombrante et chère; sa version autonome verra son potentiel de partage gâché par un rebond du nombre de kilomètres parcourus (imaginez : le télétravail dans les bouchons).

La smart city fluide et sûre que promettent les véhicules autonomes est déjà en oeuvre à Amsterdam, sans les voitures.

Il faut une transformation assez radicale de nos espaces publics pour résister à cette inédite pression immobilière.

Un choc urbain d'un ordre de grandeur pour des lieux de vie qu'on ose à peine imaginer aujourd'hui, coincés dans nos schémas quotidiens.

Le climat s'invite dans les transactions

Le climat est une raison à part entière de construire cette ville radicalement alternative.

Les dernières canicules sur la métropole nous ont montré que nos villes ne seront pas vivables l'été. Les surfaces minérales et les sols non perméables ne sont qu'un aperçu du problème.

Rappelons que le monde s'est déjà réchauffé d'1,2 degré et que nous nous dirigeons vers +3 à +4 degrés en moyenne. En moyenne sur la planète, ce qui signifie +6 à +10 sur les terres...

Alors que Dubaï a terminé son premier quartier durable (ce qui ne compense évidemment presque rien du mode de vie Emirati), les médias français commencent tout juste à raconter les migrations depuis les régions du sud... de la France ! Les températures insoutenables l'été, la fragilisation climatique du bâti, ont déjà pour conséquence des replis immobiliers.

Le problème climatique, connu de longue date, est d'ailleurs doté de solutions bien tracées qui illustrent parfaitement cette notion de transformation radicale : pour rester sous les 2° de réchauffement, il faut réduire nos émissions de gaz à effet de serre d'au moins 4% par an.

Quelques petits pourcents, cela peut sembler anodin ! Et pourtant, nous n'y sommes arrivés que 3 fois dans l'histoire : la chute des empires allemand et japonais en 1945, le paroxysme de la crise de 1929, et la crise actuelle du coronavirus. C'est dix fois le rythme actuel de baisse des déplacements en voiture en Île-de-France. Paris est une des rares villes à y parvenir. Il faut y arriver chaque année.

Au-delà des grandes villes

Les communes de plus de cent mille habitants ne regroupent que 15% des Français, et celles de plus de cinquante mille, 25% de la population.

Réécrire nos grandes villes, ça ne concernerait donc pas les trois quarts des Français ?

Rappelons d'abord que beaucoup de communes ont moins de cinquante mille habitants mais sont très proches d'une métropole. C'est le cas par exemple d'Alfortville au sud-est de Paris, pourtant bien plus dense que Rennes.

Un autre idéal écologique

L'idéal écologique actuel, qui tend vers la maison isolée de campagne, est nourri en grande partie par un besoin viscéral de quitter la ville, devenue angoissante. Il est nécessaire et inspirant, mais ne répond pas forcément à une réduction réelle de notre empreinte.

Il y a fort à parier qu'une vie en zone peu dense ne soit pas soutenable (au sens de notre empreinte sur l'environnement) sans d'énormes sacrifices, auxquels beaucoup ne sont pas prêts : un nombre conséquent de kilomètres à vélo ou en bus peu fréquent; résister à des surfaces de logement par personnes de plus de 30m², limiter l'artificialisation des sols à la seule habitation; baisser le chauffage et refaire du gros pull en laine la norme, etc.

La vie quotidienne en ville dense est aujourd'hui bien plus soutenable que la vie en maison individuelle sur les composantes transport, logement et services publics, qui représentent par exemple du point de vue du climat plus de la moitié de notre empreinte. Il reste à s'assurer que cette vie quotidienne ne soit plus source de l'envie d'évasion en avion le weekend.

La contrainte pétrole

Rappelons que le pic de production de pétrole est jugé probable d'ici 2025, soit presque le temps d'un mandat municipal, par l'Agence Internationale de l'Energie. L'épisode des prix négatifs provoqué par la crise du coronavirus brouille cette prédiction, qui pourrait aussi bien être décalée (baisse pérenne de la demande) qu'avancée (faillite de la production non conventionnelle nord-américaine).

Or, vivre en zone peu dense sans voiture est à l'évidence très compliqué, sauf à s'isoler, accepter des dizaines de kilomètres à vélo par jour, ou s'organiser avec les voisins pour partager une voiture électrique.

Une transition préparée vers des lieux de vie plus durables, qu'elle s'impose par l'imaginaire collectif ou par la loi, sera de toute évidence moins chaotique (attention, images fortes) que l'option d'attendre ce choc pétrolier.

Un contrepoint : l'agriculture

Un élément important vient toutefois questionner ce propos : le risque de rupture d'approvisionnement en nourriture des grandes villes est de plus en plus pointé du doigt.

Jean-Marc Jancovici par exemple laisse entendre un déplacement massif, contraint, vers les campagnes, où nous devrons être des millions en plus à travailler la terre. C'est aussi le point de vue du texte "Propositions pour un retour sur Terre" publié en avril 2020.

Cette campagne plus durable de toute évidence ne pourra ressembler à l'actuelle, dont 65% de la surface est destinée à la viande (et ça ne suffit pas, il faut importer du soja en déforestant le Brésil), composée à 90% de champs démembrés, où les chemins publics et les bois se font rares, coupée par des routes dangereuses. Tout autre mode de déplacement que la voiture y est déconseillé.

Faut-il donc inventer l'habitat partagé dans des campagnes où réindustrialisation et autonomie alimentaire nous auront rapprochés des emplois ? Ou intégrer l'agriculture au coeur de nos agglomérations ?

Doit-on aller dans cette direction ?

Ou celle-ci ?

Quelles sont la taille et l'organisation spatiale idéales d'une ville soutenable ?

Et donc d'une vie soutenable ?

Construisons des modèles chiffrés, pour donner une base plus solide que les aprioris de chacun, à cette question essentielle.


En attendant cet idéal, dites-moi où se construit cette grande ville où plus de la moitié des rues sont piétonnes, cyclables, vertes. Où la voiture n'y est plus qu'un moyen de transport exceptionnel. Pas seulement dans le centre-ville touristique.

Elle ne semble pour l'instant pas exister, mais on la devine dans les travaux des citoyens et associations engagés, des chercheurs, et dans les promesses électorales des municipales annulées de mars 2020.

Pour suivre l'avancement de ces villes "plus" qui seront en premier lieu piétonnes, un observatoire vient de naître : découvrez le premier classement des villes les plus piétonnes 🚶‍♀️ ouvert et contributif : https://villes.plus.

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